Les policiers, prêts à procéder à l’arrestation d’une quinzaine de suspects mardi matin à Rennes, ont été repérés juste avant le lancement de l’opération.
- Une opération antidrogue de grande envergure prévue mardi matin à Rennes a été annulée. Les policiers, mobilisés pour appréhender environ quinze suspects, ont été détectés sur le parking d’un centre commercial juste avant le début de l’opération.
- Selon le procureur de la République de Rennes, les personnes visées étaient « clairement informées de cette opération ». Le parquet s’apprête à ouvrir une enquête, confiée à la police des polices, dans le but de « déterminer les raisons de ce dysfonctionnement inadmissible et d’identifier les éventuels auteurs d’une violation du secret de l’instruction ».
- Au sein de la police judiciaire, de nombreux enquêteurs estiment que cet échec découle de la récente réforme critiquée de la police nationale. L’entourage du ministre de l’Intérieur affirme à 20 Minutes ne pas voir « le lien » entre cet incident et la nouvelle organisation des services de police.
Les enquêteurs de la police judiciaire de Rennes sont frustrés. Dans le cadre d’une information judiciaire confiée à un juge d’instruction, les policiers travaillaient depuis plusieurs mois sur le démantèlement d’un point de deal dans le quartier du Blosne. En utilisant des filatures, des surveillances et des écoutes téléphoniques, ils avaient réussi à identifier environ quinze suspects. Un vaste coup de filet était planifié mardi matin avec la mobilisation de 160 policiers, notamment du Raid et de la BRI. Cependant, comme l’explique le procureur de la République de Rennes, Philippe Astruc, « les trafiquants ayant été manifestement informés de cette opération, elle a dû être annulée » au dernier moment, confirmant ainsi les informations du journal Le Monde.
La scène qui s’est déroulée sur le parking du Castorama de Saint-Jacques-de-la-Lande (Ille-et-Vilaine) est en effet surréaliste et assez inhabituelle. Les policiers s’étaient donné rendez-vous vers 6h30 pour peaufiner les derniers détails de leur plan et se préparer. Ils ne s’attendaient pas à voir surgir une Audi roulant lentement dans leur direction. Ils ont alors remarqué que les passagers les filmaient avec leur téléphone. Soudain, le véhicule a accéléré et pris la fuite. Les policiers, ayant compris le message envoyé, ont tenté de le retrouver, mais en vain.
Une investigation initiée par le parquet
Les enquêteurs ont rapidement acquis la quasi-certitude que des informations concernant cette opération avaient fuité auprès des trafiquants. Ils ont notamment remarqué que des véhicules appartenant aux suspects, munis de balises, s’étaient rendus sur ce même parking vers 5h30, l’heure initialement prévue pour le lancement de l’opération. Les occupants de ces voitures, ignorant le retard pris par les policiers, semblaient vouloir effectuer des vérifications.
« Une enquête sera rapidement confiée par le parquet de Rennes à l’IGPN [la police des polices] afin de rechercher les raisons de ce dysfonctionnement inadmissible et identifier les éventuels auteurs d’une violation du secret de l’instruction », ajoute le procureur de la République de Rennes. Le magistrat assure que « l’échec de cette opération ne vient en rien entamer notre détermination à lutter contre ces trafics qui pèsent lourdement sur la qualité de vie des riverains ».
« Toutes les unités de police judiciaire sont conscientes que cela peut se produire »
Au sein de la PJ, de nombreux enquêteurs estiment que cet échec découle de la réforme contestée de la police nationale. Depuis le 1er janvier, les services de police d’un département, y compris le renseignement, la sécurité publique, la police aux frontières (PAF) et la police judiciaire, sont placés sous l’autorité d’un seul chef.
« Les collègues sont dégoûtés. Cela remet tout en cause. Jusqu’à présent, notre méthode de travail était adaptée et ne posait pas de problème. Elle nous permettait de limiter ce genre de situation. Les enquêteurs savaient rester discrets et faisaient très attention en diffusant des informations opérationnelles. Il y avait des fuites dans la presse, mais toujours après les interpellations. Maintenant, tous les services de police judiciaire sont conscients que cela peut arriver. Cela ne correspond pas à notre façon de faire. Il y a quand même quinze individus qui doivent bien rigoler », déplore un enquêteur chevronné. « On va devoir revoir certains de nos modes de fonctionnement », ajoute une autre source policière.
Dans l’entourage du ministre de l’Intérieur, à l’origine de cette réforme controversée, on feint de ne pas voir « le lien » entre cet échec et la nouvelle organisation des services de police. « Chaque semaine, de grandes affaires sont résolues », affirme une source ministérielle à 20 Minutes. Il est vrai que Gérald Darmanin, engagé dans une lutte acharnée contre les trafics de stupéfiants, a l’habitude de communiquer à chaque saisie significative de drogue. Cette fois-ci, il faudra repasser plus tard.