D’une réputation de sécurité à la crise actuelle : l’Équateur, jadis l’un des pays les plus sûrs d’Amérique latine, confronté à une situation sécuritaire sans précédent.
Des criminels armés font une entrée spectaculaire en direct à la télévision publique, des gardiens de prison et des policiers sont pris en otages et menacés de mort, des scènes de panique envahissent les rues, avec des commerces et des écoles fermés… Le président Daniel Noboa a déclaré mardi 10 janvier que l’Équateur est confronté à un “conflit armé interne”.
Selon Eric Samson, correspondant de RFI à Quito, des affrontements se poursuivent dans le sud du pays près de la frontière péruvienne entre l’armée et des membres de gangs, tandis que plus de 130 membres de l’administration pénitentiaire restent aux mains de groupes armés.
Après avoir déclaré l’état d’urgence la veille, Daniel Noboa, à 36 ans le président le plus jeune de l’histoire du pays, a ordonné la “neutralisation” des 22 bandes criminelles qui terrorisent l’Équateur.
Parmi elles, Los Choneros, l’un des gangs les plus anciens du pays comptant environ 8 000 membres. Son chef, Adolfo Macias, alias “Fito”, s’est évadé de la prison de Guayaquil dimanche. Mardi, les autorités équatoriennes ont subi une nouvelle humiliation avec la fuite d’un des dirigeants de Los Lobos, un autre puissant gang de narcotrafiquants.
Ces événements spectaculaires représentent la dernière manifestation en date du déclin de ce petit pays qui fut autrefois considéré comme un havre de paix et une destination touristique prisée. Bien que l’Équateur ait longtemps été préservé de la violence liée au trafic de drogue, il est désormais devenu le nouvel épicentre des activités des organisations criminelles les plus redoutées de la région et de leurs collaborateurs locaux.
Selon les experts, le tournant décisif s’est produit en 2016 avec la signature de l’accord de paix entre la guérilla des FARC et le gouvernement colombien. “Cet accord a redéfini les dynamiques du trafic de stupéfiants en Colombie, qui est le voisin du nord de l’Équateur”, souligne Jean-Jacques Kourliandsky, directeur de l’Observatoire de l’Amérique latine à la fondation Jean Jaurès, dans une intervention sur France 24.
“Un point stratégique”
Jusqu’à la conclusion de l’accord de paix, les FARC supervisaient environ les deux tiers de la production de coca en Équateur, représentant environ 40 % de la cocaïne consommée dans le monde, selon les données de l’ONU. Dans ce nouvel environnement, de nouveaux acteurs criminels internationaux, tels que les Mexicains du cartel Jalisco Nueva Generacion et la mafia albanaise, ont émergé.
Bien que l’Équateur ne soit pas un producteur de drogue, il partage des frontières avec des régions colombiennes productrices de coca, en particulier les départements de Narino et Putumayo. Avec son réseau routier moderne et sa vaste façade maritime sur le Pacifique, le pays constitue une zone de transit idéale pour la drogue destinée aux États-Unis. Sa position géographique permet également d’acheminer la drogue vers le marché européen en la transportant par l’Atlantique via l’Amazonie et le Brésil.
“L’Équateur est devenu un point stratégique, un lieu de logistique et de blanchiment d’argent pour les cartels mexicains, en particulier celui de Sinaloa lié à Los Choneros, ainsi que pour le cartel du Golfe”, explique Jean-Jacques Kourliandsky. “Il a également l’avantage d’être un pays ‘dollarisé’, facilitant ainsi les transactions en l’absence de monnaie locale”.
Aujourd’hui, l’Équateur se trouve au cœur d’un trafic de cocaïne en pleine expansion, avec une culture de coca atteignant un niveau record de croissance de 35 % entre 2020 et 2021, selon l’ONU. Cette forte augmentation de l’offre s’accompagne d’une explosion de la demande de cocaïne au cours de la dernière décennie.
La croissance du trafic de drogue a entraîné l’Équateur dans une spirale de violence sans précédent, particulièrement dans les villes portuaires, où les organisations criminelles se disputent le contrôle. À Guayaquil, la plus grande ville portuaire du Sud-Ouest, les règlements de comptes sont quasiment quotidiens, une réalité qui a valu à l’agglomération le surnom de “GuayaKill” sur les réseaux sociaux.
Menace sur l’État
Depuis 2018, marqué par un premier épisode de violence en milieu carcéral et l’explosion d’une voiture piégée dans le nord du pays, la situation n’a cessé de se détériorer. Dans les prisons surpeuplées de l’Équateur, les affrontements entre gangs rivaux entraînent régulièrement des dizaines de victimes. En juillet, un massacre impliquant 31 détenus a été enregistré dans le centre de détention de Guayaquil. Selon un rapport publié l’été dernier par InSight Crime, une ONG spécialisée dans l’étude des organisations criminelles en Amérique latine et dans les Caraïbes, le taux d’homicide est passé de 5,9 à 25,5 pour 100 000 habitants entre 2018 et 2022.
Córdova Alarcón, directeur du programme de recherche sur l’ordre, les conflits et la violence à l’Université centrale d’État de l’Équateur, a souligné que “l’Équateur devient de plus en plus violent en raison de la manière dont l’État intervient, par le biais de ses forces de sécurité, sur le marché de la cocaïne en faisant tomber les chefs et en augmentant les saisies de cocaïne”, dans une déclaration à l’AFP.
Les individus qui s’opposent au trafic et à la corruption deviennent immédiatement des cibles pour les narcotrafiquants. En août 2023, l’assassinat en pleine campagne électorale du candidat anticorruption Fernando Villavicencio a illustré la menace que les trafiquants font peser sur la société et l’État équatorien.
Le pouvoir de l’argent
Après la prise d’otages survenue mardi à Guayaquil et la démonstration de force des organisations mafieuses, le gouvernement équatorien a exprimé son consternation face au niveau “très élevé” d’infiltration des groupes criminels au sein de l’État, qualifiant le système pénitentiaire d'”échec”.
Selon Jean-Jacques Kourliandsky, expert en la matière, “L’arme principale de ces groupes, c’est l’argent. Décréter l’état d’urgence comme l’a fait le président peut avoir un impact en matière de communication, mais est-ce que cela sera suivi d’effet ? On peut penser que non.” Il souligne que le pays n’est pas préparé à cette situation, ayant été considéré comme non sensible d’un point de vue sécuritaire par les gouvernements précédents, ce qui a conduit à des coupes budgétaires dans les secteurs de l’Intérieur, de l’armée et de la police.
Il ajoute : “Le président actuel a décidé de suivre le modèle du président Bukele au Salvador, qui a obtenu des résultats assez spectaculaires contre la criminalité, mais au prix de la détérioration du droit et des libertés.”
Face à la montée de la violence en Équateur, qui a entraîné la perte d’au moins dix vies depuis lundi, l’inquiétude à l’échelle internationale s’accroît. Les États-Unis ont affirmé maintenir un “contact étroit avec le président Daniel Noboa et le gouvernement équatorien […], prêts à fournir de l’assistance”.
Le chef de la diplomatie de l’Union européenne, Josep Borrell, a exprimé à son tour une profonde préoccupation, condamnant une “attaque directe contre la démocratie et l’État de droit”.