À la suite des plaidoiries de ses deux avocats jeudi, le ministre de la Justice a choisi de ne pas faire de déclaration. La veille, une peine d’un an de prison avec sursis avait été demandée contre l’ancien avocat renommé.
Celui qui avait été particulièrement loquace pendant son procès a choisi le silence au dernier jour des débats. Après les plaidoiries de ses avocats le jeudi 16 novembre devant la Cour de justice de la République (CJR), Éric Dupond-Moretti a déclaré : “Je n’ai rien à ajouter, monsieur le président”. Le ministre de la Justice, en procès depuis dix jours pour prise illégale d’intérêts, connaîtra son sort le 29 novembre. Le ministère public a requis une peine d’un an de prison avec sursis contre lui.
Au cours de leurs plaidoiries, les avocats d’Éric Dupond-Moretti ont dénoncé les accusations jugées “inanes” portées contre celui qui “fut, dans une autre vie, la fierté de [la] profession d’avocat”, décrit comme “l’artiste des prétoires” dont “la vie a basculé” en juillet 2020 lorsqu’il a été nommé garde des Sceaux. Plaidant depuis la défense, Jacqueline Laffont a reconnu les difficultés de tempérer les humeurs de ce client peu ordinaire, mais elle a souligné que cette “spontanéité” et même cette “impulsivité” témoignent de l’innocence du ministre-prévenu, plaidant ainsi pour sa relaxe.
“Il ne pratique ni la violence ni la dissimulation. La duplicité ne fait pas partie de son caractère. Il est totalement étranger à toute forme de manœuvre sournoise ou de calculs.”
Jacqueline Laffont, avocate de la défense
lors de sa plaidoirie devant la CJR
Avec son collègue Rémi Lorrain, l’avocate a démoli l’argumentation du ministère public lors du réquisitoire, concernant l’accusation de prise illégale d’intérêts. La journée précédente, Rémy Heitz et Philippe Lagauche avaient expliqué que, dans ce contexte, le “mobile”, c’est-à-dire une éventuelle vengeance du ministre envers des magistrats avec lesquels il avait eu des différends pendant sa carrière d’avocat, n’était même “pas nécessaire pour caractériser l’infraction”. Ils avaient affirmé que “l’accomplissement de l’acte en connaissance de cause suffit”.
Les avocats du ministre ont opposé que pour caractériser l’infraction, il faut avoir délibérément voulu commettre un acte, avoir abusé de sa fonction, et avoir compromis l’intérêt public en raison de la recherche d’un profit personnel. Ils ont rappelé qu’Eric Dupond-Moretti n’était “pas à l’origine” de l’enquête initiale sur ces magistrats, demandée par sa prédécesseure Nicole Belloubet. Ils ont souligné qu’il n’avait fait que suivre les “recommandations de son administration” en ordonnant par la suite des enquêtes administratives.
Pour démontrer l’absence d'”intérêt moral” d’Eric Dupond-Moretti dans ces enquêtes, Rémi Lorrain a mis en avant le fait que les critiques formulées lorsqu’il était avocat ne visaient “pas directement” ces magistrats. Il a soulevé des questions telles que, lorsqu’il évoquait une “enquête barbouzarde” dans l’affaire des fadettes, “à quel moment désignait-il un membre du Parquet national financier (PNF)” ? L’avocat a également ironisé sur le fait que la magistrate du PNF qui a ouvert l’enquête sur les fadettes n’a pas été visée par l’enquête administrative, soulignant : “C’est une étrange vengeance que de se venger contre les mauvaises personnes.”
“On pourrait presque dire que dans la vie, Eric Dupond-Moretti n’apprécie que deux choses : il a en horreur les épinards et le PNF. C’est à ce point que nous en sommes !”
Rémi Lorrain, avocat de la défense
lors de sa plaidoirie devant la CJR
“Qui a cherché à se venger dans cette affaire ?” a souligné son homologue. “C’est clairement une guerre qui lui a été déclarée. Dans quel but ? Pour obtenir sa démission”, a plaidé Jacqueline Laffont, faisant référence aux déclarations de l’Union syndicale des magistrats, qui avait qualifié la nomination d’Eric Dupond-Moretti de “déclaration de guerre contre la magistrature”.
La spécialiste du droit pénal, familière des affaires politiques, a exhorté les 15 juges de la CJR, dont 12 parlementaires, à examiner attentivement les preuves lorsqu’ils se prononceront sur la culpabilité du ministre : “La question est simple : elle consiste à déterminer si, oui ou non, vous pouvez penser et être certains, sans le moindre doute, qu’Eric Dupond-Moretti s’est rendu coupable d’une prise illégale d’intérêts et s’il avait l’intention, en prenant ses fonctions au ministère de la Justice, de se venger de magistrats.” Ce jury exceptionnel dispose de deux semaines pour répondre à cette question cruciale et rendre une décision très attendue.