Bien que le Premier ministre ait réussi à pénétrer le front de la contestation, les lueurs de la colère persistent.
Voici un début de mandat sous pression. À peine installé à Matignon, le nouveau Premier ministre, Gabriel Attal, se trouve confronté à l’urgence de répondre à la colère grandissante dans les régions, une situation qui a pris de court de nombreux observateurs malgré les signaux précurseurs ignorés par l’exécutif depuis l’automne. Le défi est de taille pour le jeune chef du gouvernement, surtout dans un contexte où les séquelles des mouvements des gilets jaunes continuent de peser sur les décisions au sein du pouvoir.
« Sa lacune réside dans son manque de connaissance des réalités rurales et son absence d’expérience en tant qu’élu local confronté à ces problématiques. Cependant, il possède la qualité d’être un fin politicien et a toujours su sortir indemne de situations complexes. Cette période va constituer un véritable test grandeur nature pour le Premier ministre », analysait récemment Mathieu Souquière, essayiste et expert affilié à la Fondation Jean Jaurès.
La sélection de Jérôme Bayle
Après des consultations avec les syndicats agricoles tout au long de la semaine, et après avoir pris le temps d’affiner sa réponse, Gabriel Attal a opté pour une stratégie audacieuse en se rendant au cœur de la contestation, en Haute-Garonne, pour dévoiler sa position. Aux côtés de Jérôme Bayle, figure médiatique du mécontentement paysan et instigateur du blocage de l’A64, qui a donné une nouvelle dimension à la mobilisation.
Cette décision représente un réel pari pour le Parisien, désormais plongé au cœur de l’action, mais elle a eu le mérite de le présenter en première ligne, au milieu des bottes de paille, scellant un accord avec un ancien joueur de rugby au physique imposant. Devant les caméras des chaînes d’information, Gabriel Attal a dévoilé une série de mesures, incluant une “simplification immédiate” des normes, la fin de l’augmentation de la taxe sur le gazole non routier, ainsi que des sanctions “très lourdes” contre les entreprises en violation de la loi Egalim.
Affichant clairement sa satisfaction vis-à-vis des annonces et se considérant comme ayant “remporté la victoire”, Jérôme Bayle annonce la levée du blocage sur l’A64, suscitant les applaudissements de l’assistance. Dans un premier temps, le Premier ministre semble avoir réussi à désamorcer la situation. Cependant, cette accalmie est temporaire, car la FNSEA ne partage pas cet avis. Lors de son intervention sur le plateau du journal de 20 heures de TF1, Arnaud Rousseau, le dirigeant de cette influente organisation agricole, déclare que les mesures ne sont pas suffisantes et que la mobilisation va se poursuivre.
La décision du Premier ministre de choisir comme interlocuteur un visage médiatique, bien que limité dans son influence sur le déroulement des événements ultérieurs, est-elle finalement judicieuse ? Cette interrogation surgit à la lumière de la détermination affichée par le monde agricole. Malgré la percée du chef du gouvernement dans la contestation en l’absence d’Emmanuel Macron, les braises de la colère persistent. Anticiper la suite des événements semble désormais compliqué, car le mouvement semble prendre des directions variées.
Paris dans le viseur
Dans le Gard, des agriculteurs annoncent une opération “cobra” et des incidents graves, dont l’incendie du bureau des douanes et de véhicules à Nîmes, ont eu lieu dans la nuit de vendredi à samedi. Plusieurs autoroutes sont toujours bloquées, et une opération escargot est en cours en Île-de-France. Certains agriculteurs expriment leur intention de se rendre à Paris, ravivant ainsi le spectre d’un mouvement échappant à tout contrôle de sa base. Simultanément, Jérôme Bayle fait face à une avalanche d’injures sur les réseaux sociaux, accusé de trahison. Il a même dû démentir une rumeur absurde le prétendant prêt à transmettre son RIB au ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu.
Sur le plan politique, les oppositions critiquent ouvertement une opération de communication qui n’a pas réussi à apaiser la colère des régions. Nicolas Meizonnet, député RN du Gard, suggère même que le rugbyman aurait pu faire l’objet d’une tentative de corruption pour lever le barrage.
À un mois du Salon de l’Agriculture, les organisations agricoles semblent toujours détenir une position forte, forçant l’exécutif à faire davantage de promesses. Cela soulève des questions sur l’efficacité de cette manœuvre. Le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, a assuré que d’autres annonces seront faites la semaine prochaine, notamment sur la viticulture, et a évoqué des initiatives diplomatiques. Il a également promis de se rendre au niveau européen pour débloquer certains sujets, comme celui de la jachère. Cependant, malgré une première réussite en termes de forme lors de la visite en Haute-Garonne du Premier ministre, le problème de fond à l’origine de cette mobilisation est loin d’être résolu. Gabriel Attal doit encore surmonter de nombreux obstacles pour sortir indemne de cette épreuve.