Les groupes armés ont pris le contrôle d’une grande partie de la ville et ciblent les infrastructures depuis plusieurs jours, ce qui incite davantage les habitants à chercher refuge ailleurs.
Philippe Branchat, chef de mission de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) en Haïti, a qualifié la situation dans la capitale, Port-au-Prince, de “ville en état de siège”, alertant une fois de plus sur la gravité de la situation le samedi 9 mars. Il a souligné que les habitants de la capitale sont essentiellement cloîtrés chez eux, sans avoir de refuge sûr où se rendre, et que ceux qui tentent de fuir ont du mal à entrer en contact avec leurs proches dans d’autres régions du pays. Il a également ajouté que la capitale est encerclée par des groupes armés et des dangers.
Les gangs armés, qui ont pris le contrôle de 80% de Port-au-Prince ainsi que des axes routiers vers d’autres régions, mènent depuis plusieurs jours des attaques contre des commissariats, des prisons, des tribunaux et d’autres infrastructures, exigeant la démission du Premier ministre Ariel Henry. Ce dernier, contesté par une partie de la population et qui aurait dû quitter ses fonctions début février, est selon les dernières informations, bloqué à Porto Rico.
Dans la capitale et dans tout le département de l’Ouest, l’état d’urgence, initialement décrété pour plusieurs jours, a été prolongé d’un mois, jusqu’au 3 avril, selon le Bureau de la coordination des Affaires humanitaires de l’ONU (Ocha). La situation est caractérisée par des affrontements avec les forces de l’ordre, des infrastructures cruciales à l’arrêt et des populations déplacées. Franceinfo fait le point sur la situation dans la capitale haïtienne, où la violence est à son paroxysme.
Une succession d’attaques perpétrées par des groupes criminels armés
Comme souligné par l’Ocha, des attaques ont été signalées dès le 29 février dans plusieurs quartiers de la ville. Les violences se sont intensifiées le 1er mars, lorsque deux prisons ont été attaquées, entraînant l’évasion de milliers de détenus. Les groupes criminels s’en prennent également à d’autres infrastructures telles que des tribunaux et des commissariats de police. Selon le Syndicat national des policiers haïtiens (Synapoha), dix bâtiments de la police ont été détruits.
Vendredi soir, des coups de feu ont retenti dans plusieurs quartiers de Port-au-Prince. Des individus armés ont attaqué à la fois le palais national présidentiel et le commissariat de Port-au-Prince, comme l’a déclaré à l’AFP Lionel Lazarre, coordonnateur général de Synapoha. Il a ajouté que les forces de l’ordre ont réussi à les repousser et ont abattu plusieurs assaillants, précisant qu’aucun membre de la police n’a été blessé.
D’autres institutions ont été prises pour cibles. Selon le Réseau national de défense des droits humains en Haïti (RNDDH), des entreprises ont été “vandalisées” et “incendiées”. L’organisation a également signalé des actes de vandalisme au ministère de la Culture et de la Communication, ainsi qu’à l’aéroport international Toussaint-Louverture et à l’Aérogare Guy Malary. Selon ses dires, “les pertes humaines et matérielles causées par cette démonstration de force sont considérables”. Des écoles ont également été visées ou risquent de l’être dans un proche avenir.
Des installations à l’arrêt
À Port-au-Prince, les administrations et les écoles ont fermé leurs portes en raison des violences. L’aéroport et le port sont également paralysés. Vendredi, des pillages ont été signalés dans l’enceinte du port, selon Jocelin Villier, directeur général de l’Autorité portuaire nationale (APN). L’Ocha met en garde contre le risque de pillage de plus de 300 conteneurs humanitaires, en particulier au Terminal Varreux, où une grande quantité de carburant est entreposée, indiquant que celui-ci aurait été bloqué par des gangs, ce qui pourrait entraîner une pénurie.
Les centres de santé sont également touchés par cette vague de violences. De nombreux établissements ont été contraints de fermer ou de réduire considérablement leurs activités, selon le Bureau des Affaires humanitaires de l’ONU. Des hôpitaux ont été attaqués par des groupes armés, obligeant les équipes médicales à fuir avec les patients, y compris des nouveau-nés, selon l’OIM. L’organisation souligne que la capacité des équipes médicales à fournir même les services de base est fortement compromise.
Les acteurs humanitaires expriment leur préoccupation quant à l’insécurité alimentaire et aux graves conséquences sanitaires si les violences persistent. Mercy Corps alerte sur le risque que le peu d’aide actuellement fournie à Haïti ne puisse plus arriver en raison de la fermeture de l’aéroport international. De même, si les conteneurs sont inaccessibles, Haïti pourrait bientôt faire face à une crise alimentaire. En outre, des milliers de femmes enceintes pourraient perdre l’accès à des soins de santé essentiels.
Les populations civiles cherchent à échapper aux violences
Un récent rapport de l’Initiative globale contre la criminalité organisée met en évidence l’augmentation de la “prédation criminelle” et des “violations des droits humains” dans les zones de Port-au-Prince contrôlées par les gangs armés. Certains groupes abandonnent des cadavres dans les rues, plongeant les habitants dans un climat de peur constante. Les violences sexuelles sont qualifiées de “pratique centrale” des gangs, utilisées pour terroriser et “discipliner” la population. De nombreux viols sont commis en public ou devant les proches des victimes. Le rapport mentionne des cas d’esclavage sexuel, de viols répétés et de tortures dans la capitale. En outre, le racket et d’autres formes d’extorsion constituent une source importante de revenus pour les gangs, et le kidnapping est devenu une “industrie” lucrative générant des millions de dollars par an.
Les violences suscitent des mouvements de population, poussant de nombreux civils à fuir. Depuis le 29 février, environ 15 000 personnes ont été contraintes de quitter leur domicile. Selon l’OIM, plus de 160 000 civils sont déplacés dans la région de Port-au-Prince. Parmi eux se trouvent de nombreux enfants et femmes qui occupent de manière informelle des écoles, des terrains de football, des gymnases et d’autres bâtiments publics. Ils vivent dans des conditions précaires, dormant à même le sol dans des abris de fortune constitués de bâches en plastique, et n’ont pas accès à des services de base tels que les soins médicaux et l’eau potable, comme le décrit Carlotta Pianigiani, de l’ONG d’aide médicale Alima, à l’AFP.
Quitter la capitale est une entreprise extrêmement difficile. Comme l’a récemment rapporté Ulrika Richardson, coordinatrice humanitaire de l’ONU en Haïti, cela implique soit de payer une taxe criminelle officielle, soit de risquer sa vie.